Je viens d'apprendre (via le
communiqué de la nouvelle ministre de la Culture) que le site 1001 libraires allait fermer. Ce n'est probablement un scoop pour personne, en tout cas pas pour tous ceux qui par militantisme sont allé y faire un tour, voir (pour les plus motivés) y ont fait des achats. Ceci m'amène à poser sur le bibolabo des réflexions que je m'étais faites depuis longtemps en constatant le désastre organisationnel dans lequel sont les libraires français et qui me rappelle à bien des égards la situation de l'Europe que je résume par ces termes: frilosité, mauvaise foi, capitulation.
Je ne suis pas libraire et n'ai jamais travaillé étroitement à leur contact contrairement à mes collègues de BM. Mais le Bibo s'intéresse depuis quelques temps maintenant au numérique, aux bibliothèques et à ce qui se passe autour. Cet environnement est changeant et innovant. Cela signifie qu'il attire projets, innovation, mais aussi beaucoup d'amateurisme. Et je constate aujourd'hui que les libraires sont sans doute aussi naïfs et inadaptés au numérique que la majorité de ma profession. C'est malheureux et doit bien faire rigoler Amazon.
Ce dernier est au centre du jeu, un jeu qui ne concerne heureusement pas que les libraires. Car à l'origine de toute chose est bien la capacité logistique et les frais de port gratuits pratiqués par Amazon pour les livres, au mépris de toutes les règles du commerce (pas en ligne, le vrai, le concret), à savoir l'interdiction (en France) de la vente à perte. C'est bien de cela qu'il s'agit, malgré les malheureuses décisions de justices rendues dans cette affaire (sous un gouvernement très sensibles aux sirènes des lobbies et des puissants groupes...): peut-on m'expliquer comment Amazon fait pour ne pas perdre de l'argent lorsqu'il
vend 2€95 un livre en prenant à sa charge les frais de port? L'on me répondra qu'il a des accords très favorables avec la Poste... Je répondrais qu'en prenant le coût de traitement, le coût du carton, le paiement de l'éditeur, cela s'appelle de la vente a perte camouflée par des bénéfices globaux. Bref.
Si l'on ne peut reprocher aux libraires cet état de fait (sur lequel le nouveau gouvernement devrait revenir rapidement...?), ils peuvent néanmoins s'organiser. L'idée de 1001 libraires était une mutualisation des stocks et de la plateforme en ligne. Celle-ci était bien faite, les stocks relativement fournis et le principe du maillage territorial par une multitude de librairies pertinent. Mais le nerf de la guerre, c'est le prix. Car hormis les bibliothécaires militants et quelques hurluberlus, l'acheteur veut trouver son bouquin rapidement et pas cher. Ceci nous amène directement au second acteur de cette petite affaire: la FNAC.
Pour quelle raison la FNAC a-t'elle trusté une gigantesque part des ventes de livres pendant des décennies avant de s'écrouler ? Parce qu'elle avait choisi de pratiquer la remise de 5% sur chaque article, contrairement aux cartes de fidélité cumulatives pratiquées dans les librairies. L'acheteur-consommateur était satisfait. Jusqu'à ce que Pinault décide de renforcer la trésorerie du groupe avant une vente prévue de la FNAC...
Pour revenir à nos moutons, 1001 libraires, le bibliothécaire militant qui tenta d'acheter la dernière BD grand public sortie sur la plateforme constata :
1: qu'elle n'était pas encore référencée
2: qu'il n'y avait pas de remise
3: qu'après avoir contacté le site pour savoir comment obtenir la remise il se vit répondre que cela n'était pas prévu (sic) et re (sic)...
Cela s'appelle au choix une immense naïveté, se tirer une balle dans le pied ou un très grand cynisme.
Les choses sont loin d'être faciles, le Juge ne les a pas aidé, mais la démarche était bonne. Il est facile de donner des conseils et de faire des critiques derrière son écran blogger. Mais, sans virer dans le libéralisme, il faudrait quand-même que les libraires comprennent que c'est à eux de s'adapter aux demandes des lecteurs. Ils ont l'immense protection que procure le prix unique du Livre, (quasi) exception mondiale et des gouvernements qui les ont toujours plutôt protégés. Ils jouissent de grandes forces (grand maillage, grande compétence, amour des français pour le livre et la librairie)... bref, des a priori favorables. mais le commerce se fait désormais en ligne, c'est un fait. Ils doivent soit l'accompagner sérieusement en se calant sur la concurrence (qu'ils peuvent concurrencer avec l'appui des pouvoirs publics et des lois), soit rendre leur tablier tout de suite. Ils ne peuvent en tout cas toujours tabler sur des perfusions publiques et un soutien indéfectible des lecteurs par je ne sais quel rejet éthique du grand méchant Amazon.
Le prix unique leur permet de lutter sur le même terrain qu'un mammouth international. La vente en ligne leur permet d'être disponible de partout. Leur compétence leur permet une vraie valeur ajoutée quand Amazon doit se reposer sur les commentaires de ses lecteurs. Le maillage des librairies permet de compenser les frais de port d'Amazon. Tout est là pour un succès. Encore faut-il le vouloir.